Auteur: Pierre-Antoine Robin
Diplômé en droit

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Publié et traduit par Winter – Dávila & Associés.
Paris, 1 juin 2023

Le développement récent du financement des litiges par des tiers présente un certain nombre d’opportunités pour les cabinets d’avocats, pour les parties engagées dans un procès et pour les institutions financières qui trouvent là un nouveau marché financier. Il présente également des opportunités pour la justice en général, puisqu’il donne accès à cette dernière aux parties dépourvues de ressources et aux minorités, notamment dans le cas de l’arbitrage.

Cependant, l’introduction d’un tiers dans la relation avocat-client est potentiellement une source de problèmes et de risques de différentes natures. Ils peuvent être d’ordre éthique, déontologique, économique et d’ordre public.

Les Third Party Funding, ou financement par un tiers, “TPF” ci-dessous, sont des contrats qui permettent à une institution financière, généralement un fonds d’investissement ou une banque, d’investir dans une procédure judiciaire ou arbitrale nationale. Le financier intervient en payant tous les frais de l’affaire et de la procédure. Ensuite, si la partie avec laquelle il a signé ce contrat TPF obtient gain de cause, le financier recevra la partie du montant convenu dans le contrat. Celle-ci est généralement comprise entre 20 et 50 %, et parfois beaucoup plus, jusqu’à 300 %[1]. Dans le cas contraire, en cas d’échec, le tiers ne peut prétendre à aucun remboursement. La rémunération de ce tiers dépend de plusieurs facteurs.

Le TPF se manifeste également de différentes manières, par exemple, le fonds peut acheter le droit d’ester en justice et ainsi se subroger dans les droits d’une partie, dans ce cas il est partie à la procédure. Dans d’autres cas, il peut acheter une sentence ou un jugement et en assurer l’exécution.

El TPF se manifiesta también de diferentes maneras, por ejemplo, el fondo puede comprar el derecho a demandar y así subrogarse en los derechos de una parte, en este caso es parte al proceso. En otros casos, puede comprar un laudo o una sentencia, y asegurar su ejecución.

Le financement des litiges par des tiers présente de nombreux attraits, notamment dans le cadre de l’arbitrage.

En effet, ils ont pour premier avantage de faciliter l’accès à l’arbitrage pour les parties qui n’ont pas les moyens de payer les frais de procédure et leurs avocats.

Le TPF est très attractif pour les financiers, puisque les chiffres actuels montrent une moyenne de 5 ans entre l’investissement et le recouvrement, avec un taux de réussite d’environ 80%, selon les financiers[2],

Les aspects les plus critiquables du TPF sont les problèmes de risque de judiciarisation de l’entreprise et la multiplication des procès. Il existe également des risques liés aux conflits d’intérêts. En effet, les intérêts du financier peuvent être opposés à ceux du plaignant. Le financier a un pouvoir considérable dans la procédure, et s’il quitte la partie sans financement, il ne peut souvent pas continuer la procédure puisqu’il n’aurait même pas pu y entrer sans financement.

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Les seules réglementations qui existent aujourd’hui pour protéger la partie financée sont les réglementations plus générales du droit des obligations et du droit commercial. Elles ne sont pas adaptées au sujet et aux intérêts en jeu. Il existe également des règles de soft law, mais il n’y a pas aujourd’hui de réglementation à la hauteur des intérêts publics à protéger.

Aujourd’hui, les règlements des institutions d’arbitrage sont les éléments les plus développés de la réglementation du TPF. En effet, comme nous l’avons déjà présenté, la grande majorité des litiges financés par le TPF sont des procédures d’arbitrage. Les règles régissent le TPF afin d’éviter les conflits d’intérêts. Le devoir des institutions et leur principale raison d’être est que la sentence à publier puisse être exécutée et en aucun cas annulée.Ces règlements tendent à rendre public le contrat ou l’institution financière afin d’attirer l’attention sur d’éventuels conflits d’intérêts.

 Ils le font de la manière suivante :

 L’IBA, International Bar Association[3], a été la première organisation à aborder la question des conflits d’intérêts liés au TPF. Elle souligne dans ses lignes directrices de 2014 sur les conflits d’intérêts dans l’arbitrage international que les bailleurs de fonds ont un intérêt économique direct dans la procédure et la sentence à venir. “Les tiers financeurs et assureurs en relation avec le litige peuvent avoir un intérêt économique direct dans la sentence, et peuvent donc être considérés comme équivalents à la partie”.

La Chambre de commerce internationale (CCI) est la principale institution d’arbitrage au monde. Elle a publié de nouvelles règles pour régir les procédures d’arbitrage qu’elle mènera en 2021. On s’intéressera particulièrement au nouvel article 11.7[4] du règlement. Cet article oblige expressément les parties à divulguer tout accord conclu avec une institution financière dans le cadre de la procédure afin de la financer. Cette règle permet de contrôler et d’éviter les conflits d’intérêts potentiels. Par exemple, un arbitre qui aurait un conflit avec le financier devrait le divulguer et démissionner. Selon le type de conflit, les parties peuvent également exercer leur droit de récusation.

Le CIRDI, le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements, réglemente également dans ses règles la présence d’un tiers financeur dans les litiges accueillis par le centre, à l’article 12 de ses règles de procédure[5].

En Espagne, le Code de bonnes pratiques du Club d’arbitrage s’appuie également dans sa sixième section[6] sur l’obligation de divulguer l’existence du tiers financeur, son identité et le moment où l’accord de financement a lieu. Le texte va même plus loin en permettant aux arbitres de demander à la partie toute information supplémentaire pertinente pour examiner tout risque de conflit. Pour préserver les aspects plus privés de la convention de financement, tels que les conditions financières, par exemple, la partie peut occulter les données confidentielles.

Le Centre d’arbitrage international de Madrid (CIAM) contient également des dispositions pertinentes en matière de financement par des tiers. L’article 23 de son règlement d’arbitrage[7] prévoit l’obligation pour les parties d’informer le tribunal de l’existence d’un financement par des tiers et de son identité, et donne au tribunal arbitral le pouvoir de demander d’autres informations pertinentes. Une disposition très similaire figure à l’article 55 du règlement de la Cour d’arbitrage de Madrid.

Il est intéressant de souligner le rôle de ces règles et leur importance étant donné que la grande majorité des arbitrages ont lieu au sein d’institutions (environ 86 % des procédures) et sont régis par les règles de l’institution qui conduit la procédure.

Alexis Mourre, ancien président de la Chambre de commerce internationale, a défini la Soft Law lors de la Conférence sur l’arbitrage Hugo Grotius comme une condition pour le développement de la confiance dans l’arbitrage. 9] Selon l’auteur, ces règles sont très importantes car elles représentent un élément de diffusion et de simplification du droit international.

Les institutions de l’Union européenne souhaitent également réglementer la matière et ont récemment commencé avec la résolution 2020/2130(INL) du Parlement européen[10].

L’objectif est de créer une réglementation qui puisse à la fois protéger les intérêts des parties les plus faibles et éviter les problèmes de conflits d’intérêts.

Tout d’abord, les considérants du texte mentionnent les aspects très positifs de la pratique, notamment en termes d’accès à la justice pour les parties les plus faibles. Au vu des différents considérants, il convient de mentionner que l’institution européenne soutient la pratique et reconnaît ses avantages tout comme elle reconnaît, dans une certaine mesure, sa nécessité afin de réduire les déséquilibres considérables qui existent encore dans l’accès à la justice, en particulier pour les parties les plus faibles et les minorités. Il examine également les avantages du TPF dans le cas des recours collectifs et des actions groupées.

Les considérants suivants énumèrent les aspects négatifs de cette pratique, par exemple le fait que le bailleur de fonds puisse influencer et contrôler la procédure, même si cela va à l’encontre de la volonté de la partie financée, ou les rendements très élevés ou excessifs pour le bailleur de fonds. Il traite également de la croissance de cette pratique sur le territoire européen et du vide juridique qui l’entoure.

Le Parlement, dans ses considérants, insiste sur l’importance de la réglementation, car, sans réglementation, la pratique du TPF pourrait présenter “des risques substantiels pour l’administration de la justice[11]”. Le Parlement reconnaît que le vide actuel favorise le risque “que les financeurs de litiges agissent avec un manque de transparence”. Enfin, il insiste sur le principe d’unification du droit dans l’Union européenne, et le Parlement présente ces résolutions également afin d’assurer un équilibre dans la réglementation de la pratique dans l’ensemble de l’Union, en évitant le risque de fragmentation et, nous le comprenons, le Forum Shopping au sein de l’Union.

Les objectifs de la résolution sont l’établissement de normes minimales pour la réglementation du TPF, la protection des parties les plus faibles dans ce type de contrat, qui sont les personnes financées. Elle vise également à réglementer la rémunération des institutions financières ainsi que les conflits d’intérêts et les procédés abusifs.

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Les moyens de régulation proposés :

a) Mise en place d’un système d’autorisation des financeurs.

Il est recommandé de développer un système d’autorités de contrôle qui pourraient accorder et maintenir ou non les autorisations nécessaires pour opérer. Un tel système existe déjà pour d’autres activités financières telles que les marchés financiers et les établissements de crédit, par exemple.

b) Sur les aspects éthiques

La résolution recommande une obligation de respecter le devoir fiduciaire de diligence qui leur impose d’agir dans l’intérêt du demandeur. Ce devoir les obligerait à toujours agir dans l’intérêt de la personne financée et les empêcherait de contrôler abusivement le processus. Ainsi, une séparation stricte est proposée, ceux qui ont le pouvoir réel sur le processus doivent être la partie impliquée et ses représentants et non le financier.

Elle cherche également à éviter les conflits d’intérêts et, à cet égard, la résolution propose la solution déjà adoptée par de nombreux règlements d’arbitrage, à savoir la possibilité d’exiger la divulgation de certains éléments du contrat de financement. Elle propose “l’obligation pour les demandeurs et leurs avocats de divulguer les accords de financement au tribunal à l’initiative de ce dernier ou à la demande du défendeur, et d’informer le tribunal de l’existence d’un financement commercial et de l’identité du bailleur de fonds dans le cas d’espèce ; elle considère que le tribunal devrait informer le défendeur de l’existence d’un financement de litiges par des tiers et de l’identité du bailleur de fonds”.

Un autre aspect éthique en faveur de la partie financée est la proposition qu’il soit impossible, sauf dans des cas exceptionnels, pour l’institution financière d’abandonner la partie financée au milieu de la procédure.

c) Sur la limitation de la rémunération du financeur

Dans cette section, le Parlement propose d’établir une limitation de la rémunération proportionnelle au montant convenu dans le jugement ou la sentence. Il propose, sous réserve d’exceptions, qu’un minimum de 60% du montant soit obligatoirement alloué au demandeur financé.

En résumé, il s’agit d’un premier pas important sur la voie de la réglementation du TPF et de la protection des principes fondamentaux actuellement menacés.

AVIS LÉGAL : Cet article a été préparé à des fins d’information uniquement. Il ne remplace pas un conseil juridique adapté à des circonstances particulières. Vous ne devez pas engager ou vous abstenir d’engager une action en justice sur la base des informations contenues dans le présent document sans avoir au préalable sollicité un avis professionnel et individualisé en fonction de votre propre situation. Le recrutement d’un avocat est une décision importante qui ne doit pas être basée uniquement sur les publicités.


 Réferences

[1] Estudio del EPRS (2021): Responsible private funding of litigation (Financiación privada responsable de las costas procesales). Anexo relativo al panorama actual de la financiación privada de litigios en la Unión y la normativa vigente aplicable en la materia.

[2] Información sacada de las páginas internet de estos dos fundos. Deminor y Profile Investment https://drs.deminor.com/fr/  / https://profileinvestment.com/expertise/

[3] Directrices IBA sobre Conflictos de Intereses en Arbitraje Internacional 2014 Nota explicativa sobre la Norma General 6:

[4] ICC Rules of Arbitration entered into force on 1 January 2021, article 11.7 “In order to assist prospective arbitrators and arbitrators in  complying  with their duties  under Articles 11(2) and 11(3), each party must promptly inform the Secretariat, the arbitral tribunal and the other parties, of the existence and identity of any non-party which has entered into an arrangement for the funding of claims or defences and under which it has an economic interest in the outcome of the arbitration.”

[5] ICSID Amended 2022 Rules « A party shall file a written notice disclosing the name and address of any non-party from which the party, directly or indirectly, has received funds for the conciliation through a donation or grant, or in return for remuneration dependent on the outcome of the conciliation (“third-party funding”). If the non-party providing funding is a juridical person, the notice shall include the names of the persons and entities that own and control that juridical person. »

[6] VI. SECCIÓN SEXTA: DEBERES RELATIVOS A LA FINANCIACIÓN 1. OBLIGACIÓN DE REVELACIÓN

[7] CIAM Reglamento de Arbitraje; en vigor desde el 1 de enero de 2020

[8] STSJ Madrid (Secc. 1a) 23 octubre 2020 (ROJ STSJ M 12155/2020)

[9] Alexis Mourre, La Soft law como condición para el desarrollo de la confianza en el arbitraje internacional, Madrid 25 de mayo de 2017, CEU Ediciones.

[10] European Parliament resolution of 13 September 2022 with recommendations to the Commission on Responsible private funding of litigation (2020/2130(INL))

[11] Considerando J  “whereas the number of litigation funders is hard to determine, with at least 45 such funders known to operate in the Union; whereas, although in most Member States, the practice of TPLF has so far been limited in its extent, it is expected to play a growing role in the coming years, but it remains largely unregulated in the Union, despite the fact that it could present not only benefits, but also material risks to the administration of justice that need to be addressed;”

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