Auteur: Daniela Cañizares Marroquín 🇨🇴
Avocate

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Publié et traduit par Winter – Dávila & Associés.
Paris, 2 juillet 2024.

Cet article explique l’évolution du sport concernant les personnes de genre divers ces dernières années. Pour cela, il inclut les discussions jurisprudentielles qui ont émergé autour de leur participation dans différentes disciplines.

La participation des athlètes transgenres et intersexuels n’est pas nouvelle, comme en témoigne l’exemple des Jeux Olympiques de 1936 avec la participation de Heinrich (Dora) Ratjen, qui, en raison de ses conditions génétiques, a été élevée comme une femme mais a été déclaré homme après des examens médicaux. Ceci peut être considéré comme le premier de plusieurs cas observés tout au long du XXe siècle, conduisant à l’implémentation de divers moyens pour déterminer la sexualité des athlètes. [1] De nos jours, le débat s’est intensifié, créant une dualité entre garantir l’inclusion de ces athlètes et maintenir l’égalité compétitive comme principe directeur du sport.

En conséquence, l’approche des tribunaux a été fondamentale dans la détermination de la participation des athlètes transgenres. Il est ainsi intéressant de se pencher sur les cas de Dutee Chand, Caster Semenya, Lia Thomas, ainsi que sur la décision récente d’un tribunal colombien dans le cas d’Emiliana Castrillón, afin de montrer l’état actuel des politiques adoptées.

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Le cas de Dutee Chand [2]

En 2014, l’athlète indienne Dutee Chand a été convoquée par la Fédération Indienne d’Athlétisme pour des examens médicaux, incluant une échographie abdominale. Par la suite, la Fédération lui a envoyé une lettre exprimant des doutes quant à son genre, nécessitant une vérification. En conséquence, elle a été exclue des Championnats du Monde Juniors et de l’équipe indienne pour les Jeux du Commonwealth, en raison de niveaux élevés d’ “hormones masculines” et d’hyperandrogénie.

Cette décision s’appuyait sur les Règles d’Éligibilité pour les Athlètes Féminines avec Hyperandrogénie émises en 2011 par l’Association Internationale des Fédérations d’Athlétisme (IAAF). [3] Ces règles stipulaient qu’une athlète est éligible pour la compétition féminine si elle prouve que ses hormones sont en dessous des niveaux masculins, ou qu’elles ne procurent pas un avantage compétitif. Pour pouvoir participer, l’athlète devait subir des procédures médicales pour réduire ses niveaux hormonaux.

Photo fournie par l’auteur de l’article.

Chand a donc fait appel auprès du Tribunal arbitral du sport (TAS), affirmant que les règles de l’IAAF étaient discriminatoires et disproportionnées envers les athlètes produisant naturellement plus de testostérone, et qu’elles manquaient de fondement scientifique. Le TAS a reconnu que les règlements de l’IAAF étaient discriminatoires, mais qu’ils reposaient sur des bases scientifiques et n’ont pas prouvé qu’il n’y avait pas de lien entre les niveaux de testostérone et la performance sportive. Cependant, concernant la proportionnalité, le TAS a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour démontrer que l’exclusion des athlètes féminines était conforme aux principes de la Charte olympique et que la compétition des femmes avec hyperandrogénie soit inéquitable en raison de niveaux élevés de testostérone.

En conséquence, en 2015, le TAS a partiellement accueilli l’appel de Chand et suspendu la réglementation jusqu’à ce que l’IAAF présente des preuves suffisantes de l’avantage compétitif des niveaux élevés de testostérone chez les athlètes hyperandrogènes.

La bataille de Caster Semenya

À la suite du cas Chand, en 2018, l’IAAF a informé le TAS qu’elle retirerait la réglementation existante pour les athlètes hyperandrogènes et émettrait une nouvelle réglementation sur l’éligibilité des athlètes pour la classification féminine avec des « différences de développement sexuel » (Normes DSD). Cette réglementation exigeait des athlètes avec des niveaux élevés de testostérone et un « effet androgénisant matériel » de réduire leurs niveaux de testostérone dans la norme féminine et de les maintenir pendant six mois pour concourir dans des événements restreints, incluant ceux où concourait la championne olympique Caster Semenya. L’athlète a donc demandé au TAS que les Normes DSD soient déclarées invalides.

Semenya considérait que ces mesures étaient discriminatoires et inutiles pour garantir une compétition équitable, et allaient à l’encontre de la Charte olympique, [4] des lois et des droits humains universellement reconnus. Cela a confronté le TAS à deux systèmes de droits incompatibles : d’une part, les droits liés à l’identité de genre et à l’absence de discrimination, et d’autre part, les droits des athlètes féminines pouvant être désavantagées biologiquement en compétition.

Le TAS a conclu que les Normes DSD étaient discriminatoires, mais justifiables tant qu’elles sont nécessaires, raisonnables et proportionnées. Concernant la nécessité, le TAS a affirmé que, puisqu’il n’existe que deux catégories, féminine et masculine, il est nécessaire de déterminer les caractéristiques des personnes pouvant concourir dans chaque catégorie, garantissant ainsi une compétition équitable. Pour le cas spécifique des Normes DSD, l’IAAF a démontré que les athlètes féminines sans sensibilité aux androgènes étaient désavantagées sans la réglementation.

En ce qui concerne la raisonnabilité et la proportionnalité, le TAS a estimé les mesures adéquates, car pour réguler les niveaux de testostérone, il suffit de consommer des contraceptifs. Cependant, il a soulevé des doutes sur leur mise en œuvre, concernant la capacité des athlètes à maintenir les niveaux requis par les Normes DSD.

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Les demandes de Semenya n’ayant pas été accueillies, l’athlète a saisi le Tribunal fédéral suisse pour annuler la décision, mais le tribunal a estimé que la procédure avait été correctement appliquée et que sa compétence limitée ne permettait pas de modifier la décision, laquelle n’était pas contraire à la législation suisse. [5]

Semenya a alors saisi la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), affirmant que les Normes DSD impliquent une discrimination pour les personnes intersexes, car elles discriminent à la fois par rapport aux femmes sans niveaux élevés de testostérone et n’existent pas pour les hommes avec des niveaux de testostérone élevés. L’athlète a également affirmé que cela violait son droit à la prise de décisions concernant sa vie privée.

La CEDH a jugé que l’athlète était victime de discrimination et d’atteinte à sa vie privée, car la décision du TAS ignorait les effets du traitement hormonal. Le Tribunal fédéral suisse a également été critiqué pour avoir méconnu les principes et droits de la Convention européenne des droits de l’homme, n’offrant pas de garanties suffisantes à Semenya. Par conséquent, l’État suisse a été condamné.

Cette décision semblait marquer la fin du débat sur la discrimination inhérente à l’application des Normes DSD, mais le cas est actuellement examiné par la Grande Chambre de la CEDH et est en attente de décision.

Photo : pixabay.com

Le cas polémique de Lia Thomas

Lia Thomas, nageuse ayant fait sa transition, est au cœur de la discussion sur le sport transgenre, beaucoup la voyant comme l’exemple le plus clair de l’avantage compétitif potentiel de ces athlètes. Lorsqu’elle concourait dans la catégorie masculine, elle était classée en dessous du 400e rang, mais depuis qu’elle concourt dans la catégorie féminine, elle occupe la première place.

Cette situation a conduit à son exclusion des événements classés Elite par USA Swimming, ainsi que des événements organisés par World Aquatics et la possibilité d’établir des records mondiaux. En conséquence, l’athlète a engagé une procédure devant le TAS, considérant les politiques d’éligibilité de World Aquatics discriminatoires, car elles n’autorisent que les athlètes transgenres avec une insensibilité totale aux androgènes, n’ayant pas expérimenté la puberté masculine, ou ayant supprimé la puberté masculine avant le stade 2 de Tanner ou avant 12 ans, avec des niveaux de testostérone maintenus bas en continu.

Cependant, le TAS a jugé que les dispositions en question ne s’appliquaient pas à Thomas, car au moment de la procédure, elle ne faisait pas partie de USA Swimming, n’étant pas dans les compétitions Elite, et donc ne faisant pas partie de World Aquatics, invalidant ainsi ses revendications. [6] Lia Thomas est donc exclue de la participation aux Jeux Olympiques de Paris.

Emiliana Castrillón, le cas des sports collectifs

Le cas d’Emiliana Castrillón diffère des précédents car, contrairement aux autres athlètes, elle concourt en volleyball, un sport collectif où il est plus difficile de mesurer l’avantage compétitif par rapport aux autres femmes.

Emiliana a commencé sa transition à 16 ans et a entamé un traitement hormonal en 2015. Depuis cette année, elle participe à des compétitions féminines organisées par la Ligue de Volleyball d’Antioquia. En 2018, des exigences pour la participation des athlètes transgenres ont été mises en place, incluant des tests de testostérone prouvant qu’elle avait des niveaux égaux ou inférieurs à ceux d’une femme cisgenre.

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En 2022, une résolution a été émise stipulant que les personnes nées hommes appartiennent à la catégorie masculine et celles nées femmes à la catégorie féminine. En conséquence, Emiliana a été exclue des tournois universitaires en 2024, et a engagé une action en justice pour protéger ses droits à l’égalité, à la vie privée et au libre développement de la personnalité.

La décision a conclu que la résolution n’était pas basée sur les différences biologiques au moment de la compétition, prouvant un avantage compétitif, mais sur des critères assignés à la naissance, entraînant une inégalité inhérente pour une personne transgenre, ignorant les critères de la Fédération Internationale de Volleyball. Elle a ordonné la participation d’Emiliana jusqu’à ce que des critères objectifs prouvant un avantage compétitif soient établis et conformes à la réglementation internationale.

En conclusion, ni les fédérations ni les tribunaux n’ont réussi à garantir la participation des personnes de genre divers tout en assurant l’égalité compétitive. À ce titre, nous vous invitons à continuer de contribuer à ce débat loin d’être résolu via nos réseaux sociaux.

Références:

[1] Ingram, Benjamin James MD; Thomas, Connie Lynn MD. Transgender Policy in Sport, A Review of Current Policy and Commentary of the Challenges of Policy Creation. Current Sports Medicine Reports 18(6):p 239-247, June 2019. | DOI: 10.1249/JSR.0000000000000605

[2] CAS 2014/A/3759 Dutee Chand v. Athletics Federation of India (AFI) & The International Association of Athletics Federations (IAAF)

[3] Disponibles en https://www.worldathletics.org/download/download?filename=caf5ddf5-c64b-4384-8947-f057fb44c44a.pdf&urlslug=iaaf%20hyperandrogenism%20regulations%20-%20appendix%204%20-%20in%20force%20as%20from%201st%20may%202011

[4] CAS 2018/O/5794 Mokgadi Caster Semenya v. International Association of Atlhetic Federations

[5]  ECHR, CASE OF SEMENYA v. SWITZERLAND, Julio 11 de 2023.

[6] CAS 2023/O/10000 Lia Thomas v. World Aquatics

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