Auteur: Marko Quiroz Grados 🇵🇪
Avocat
L’article est également disponible en anglais et en espagnol :
Publié et traduit par Winter – Dávila & Associés.
Paris, 5 août 2025.
La justice sportive peut-elle sanctionner une personne acquittée pénalement ? Le cas de Manuel Burga contre la FIFA
Au cours des dernières décennies, le droit du sport a émergé comme un sous-système juridique de plus en plus solide, indépendant et spécialisé, avec ses propres principes, organes juridictionnels et mécanismes de contrôle éthique. Il ne s’agit plus simplement de réglementer les transferts ou les contrats des footballeurs, mais de garantir l’intégrité et la légitimité du sport à l’échelle mondiale. Le football, en raison de sa dimension économique, culturelle et politique, exige une architecture juridique capable de répondre avec rapidité et efficacité aux menaces qui l’entourent, notamment celles liées à la corruption des dirigeants.
Dans ce contexte, le présent article analyse l’une des sentences les plus représentatives de cette nouvelle ère du droit du sport : la TAS 2023/A/9751, dans lequel l’ancien dirigeant péruvien Manuel Burga Seoane conteste la sanction d’interdiction à vie et l’amende imposées par la FIFA, en raison de sa prétendue implication dans le scandale du « FIFAGate ». La décision du TAS ne se contente pas de réaffirmer la légitimité de la FIFA à sanctionner ses membres sur le plan éthique : elle constitue également une étape jurisprudentielle majeure dans l’application de standards probatoires différenciés, l’utilisation de preuves issues de procédures pénales étrangères, et la séparation entre justice sportive et justice pénale.
L’objectif de cette étude est d’examiner avec rigueur juridique la manière dont le TAS structure son raisonnement dans cette affaire emblématique, les critères normatifs et probatoires qu’il emploie, et les répercussions que cette sentence projette sur l’évolution du droit international du sport.
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Acquittement pénal, mais sanction sportive ?
Le litige porte sur une présumée violation du Code d’éthique de la FIFA (version 2012), dans le cadre du scandale « FIFAGate », où il est reproché à Manuel Burga d’avoir accepté des pots-de-vin, des avantages indus et adopté des comportements contraires à l’éthique dirigeante. Bien qu’il ait été acquitté pénalement aux États-Unis — ce qui, en principe, mettrait fin à toute accusation dans un État de droit traditionnel —, la FIFA l’a sanctionné disciplinairement, en appliquant sa propre réglementation interne.
C’est ici qu’émerge une première tension juridico-sportive qui mérite réflexion : est-il possible de sanctionner éthiquement une personne pénalement acquittée ? La réponse affirmative du TAS n’est pas seulement formelle ; elle est doctrinale. Elle repose sur le principe d’autonomie du droit du sport et sur la légitimité des instances sportives à protéger des intérêts collectifs tels que la réputation institutionnelle, l’intégrité du jeu et la confiance des parties prenantes, au-delà de la preuve pénale classique. Il n’est pas nécessaire de prouver l’infraction pénale : il suffit de démontrer la violation éthique.
Le rôle du TAS comme juridiction à compétence plénière
D’un point de vue procédural, la sentence se distingue par deux éléments fondamentaux :
- L’exercice d’un contrôle « de novo » par le TAS (article R57 du Code TAS). Cette faculté confère à la formation arbitrale une compétence plénière lui permettant de réexaminer aussi bien les aspects procéduraux que le fond du litige. Le TAS ne se limite donc pas à une instance d’appel restreinte, mais agit comme une juridiction dotée d’un pouvoir de révision complet.
- L’admission de preuves issues de procédures pénales étrangères, même lorsque l’appelant n’a pas été présent lors des actes concernés. Le TAS admet l’utilisation de témoignages et de documents recueillis dans le cadre du procès pénal américain, dès lors que sont respectés la dignité de l’intéressé et son droit à une contestation effective dans la procédure sportive. À cet égard, l’article 46 du Code d’éthique de la FIFA autorise une souplesse probatoire accrue, en cohérence avec les finalités protectrices du sport.

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Le standard de preuve : au-delà du « in dubio pro reo »
À la différence du droit pénal, où l’imposition d’une condamnation exige une conviction « au-delà de tout doute raisonnable », la procédure disciplinaire sportive — comme celle suivie par le TAS — se fonde sur un standard probatoire distinct : celui de la « conviction confortable » (comfortable satisfaction). Ce seuil se situe entre la « prépondérance des preuves » et la certitude pénale, permettant de prononcer des sanctions lorsque le tribunal, sur la base d’indices multiples, convergents et cohérents, atteint un degré raisonnable de conviction, sans qu’il soit nécessaire d’être absolu. Cette différence est fondamentale, car elle reflète un modèle de vérité procédurale plus souple, orienté vers la protection de l’intégrité du sport et l’efficacité préventive des normes éthiques, plutôt que vers la punition pénale stricte.
Manuel Burga vs. FIFA
Dans son appel, Burga ne se contente pas de nier les faits. Il évoque un discours de persécution politique, de violation du droit au procès équitable et de soumission à une « preuve diabolique », qui lui imposerait de réfuter des faits négatifs. En substance, sa défense repose sur l’incompatibilité entre son acquittement pénal et la sanction de la FIFA, invoquant une absence de proportionnalité et de preuves directes.
La FIFA, quant à elle, soutient que le comportement sanctionné réside dans la simple acceptation d’avantages indus, sans qu’il soit nécessaire de prouver un paiement effectif. Elle argue que les témoignages sous serment — notamment ceux de Burzaco et d’autres impliqués dans le « FIFAGate » — ainsi que les documents comptables d’entreprises comme Datisa ou Full Play, constituent des indices solides. Elle ajoute que l’acquittement pénal n’empêche pas la sanction éthique, les deux opérant dans des sphères juridiques distinctes.
Fondements de la décision arbitrale
Le TAS conclut que Burga a effectivement enfreint le Code d’éthique de la FIFA, en s’appuyant sur trois axes principaux :
- La véracité et la cohérence des témoignages présentés devant les juridictions américaines par des entrepreneurs et anciens dirigeants affirmant avoir versé ou été témoins de promesses de paiements indus.
- Les documents comptables internes des entreprises impliquées, dans lesquels Burga est explicitement mentionné sous le pseudonyme « Fiat ».
- L’absence de défense active de l’appelant, qui n’a présenté ni témoins ni éléments de preuve pour contredire les accusations, se contentant de nier les faits sans véritable contre-preuve.
S’agissant des allégations de partialité, le TAS conclut qu’aucun acte n’a vicié la procédure, et que tout éventuel défaut a été corrigé par l’examen de l’affaire dans le cadre d’une compétence pleine.
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Conclusions
Cette sentence consacre un tournant doctrinal clair : la justice sportive peut et doit agir indépendamment de la justice pénale. La FIFA, en tant qu’instance dirigeante, a l’obligation de protéger l’image du football et, à ce titre, peut appliquer des sanctions sévères sur la base d’un standard éthique, même sans condamnation judiciaire préalable.
Le cas de Manuel Burga constitue un avertissement pour tous les acteurs du football mondial : le jugement éthique n’attend pas la sentence pénale. Par l’usage d’outils propres, tels que l’examen « de novo », le standard de la « comfortable satisfaction » et l’acceptation de preuves extrinsèques, le TAS affirme sa position comme la cour suprême du sport mondial, capable de fixer des limites, restaurer la légitimité et établir des précédents structurants dans la lutte contre la corruption dans le football.
AVIS LÉGAL : Cet article a été préparé à des fins d’information uniquement. Il ne remplace pas un conseil juridique adapté à des circonstances particulières. Vous ne devez pas engager ou vous abstenir d’engager une action en justice sur la base des informations contenues dans le présent document sans avoir au préalable sollicité un avis professionnel et individualisé en fonction de votre propre situation. Le recrutement d’un avocat est une décision importante qui ne doit pas être basée uniquement sur les publicités.
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